Enquêtes d’actu a interrogé Frédérique Santi, chercheuse en génétique forestière à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), coauteure d’un article sur le paulownia publié sur The Conversation.
Originaire d’Asie, le paulownia commence à sa faire une place dans les campagnes françaises. Depuis l’introduction de sa culture dans l’Hexagone en 2018, plusieurs sociétés commercialisant des plants de paulownia ont vu le jour. Elles visent notamment les agriculteurs à grand renfort de promesses alléchantes sur cet arbre qualifié de « magique » et ses vertus écologiques : puits de carbone, régénérateur de sol et abri pour la biodiversité.
Qu’en est-il réellement ?
Actu : On dit du paulownia qu'il s'agit d'un puits de carbone capable d'absorber 40 tonnes de CO2 à l’hectare et par an, dix fois plus que les autres arbres. Est-ce exact ?
Frédérique Santi : Oui, si et seulement si vous en prenez soin, que le paulownia est bien adapté à l’endroit où il est planté. C'est vrai pour toute espèce d'arbre d’ailleurs. Si vous ne le soignez pas, si vous n'avez pas bien préparé le sol, si vous l’avez laissé dans l'herbe au début, ça restera un buisson. Un buisson ne fixe pas de CO2. C'est une question de volume de feuilles, bois et racines par unité de temps.
Vous ne pouvez pas planter du paulownia là où c’est un danger pour les réserves en eau.
Quelles sont les conditions de culture permettant au paulownia de croître vite et ainsi de stocker rapidement du CO2 ?
FS : Pour la pousse du paulownia, le plus important, c’est l’année où il fait la tige qui deviendra le futur tronc [à partir de la deuxième année suivant la plantation, NDLR]. Cette année-là, il faut vraiment du soleil, que vous l’arrosiez bien ou qu’il y ait de l’eau naturellement disponible en quantité et régulièrement. À ce moment-là, le paulownia fait une pousse de deux à six mètres, voire plus. Cette tige-là, il faut l’ébourgeonner, c'est-à-dire enlever toutes les petites pousses secondaires. Cela donnera un pied tout lisse surmonté d’un petit houppier. Attention aux vents forts réguliers, le paulownia y est très sensible. Si le vent vient toujours du même côté, le tronc risque de pencher. Comme le tronc a un petit axe vide au milieu, s'il n'est pas parfaitement droit, cela diminue très fortement la valeur du bois.
Le paulownia requiert donc une disponibilité importante en eau. Est-ce un problème si sa culture se développe en France, par rapport à l’aggravation des phénomènes de sécheresse ?
FS : Les choses doivent se voir des deux côtés. En France, vous ne pouvez pas planter du paulownia là où c’est un danger pour les réserves en eau. Quand vous faites un boisement, vous devez demander l’autorisation de la Dreal [Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, NDLR] à partir de 0,5 hectare. Vous devez démontrer notamment que vous ne pomperez pas de l’eau dans le sol au détriment de quelqu’un d’autre. De toute façon, s’il y a des restrictions d’eau, c’est vous qui serez coupé en premier, pas l’agriculteur qui produit de la nourriture. Je ne suis pas inquiète parce que l’eau est contrôlée en France. Globalement, on ne fait pas trop d’erreurs. D’un autre côté, cet arbre génère beaucoup de feuilles. Il crée une ambiance forestière qui change le microclimat local et même plus largement, selon la surface plantée, "attire" la pluie. Alors certes, dans un premier temps, vous aurez peut-être pompé dans les réserves en eau, mais pour avoir une chance d’avoir plus d’eau après. C’est ça le raisonnement à tenir.
L’urgence, c’est de planter des arbres à forte croissance pour, très vite, fixer du carbone, apporter de l’ombre, couper le vent et attirer l’eau.
Est-ce un arbre favorable à la biodiversité ?
FS : Il lui faut de la place pour pousser correctement, minimum cinq mètres entre les arbres. Ce n’est pas comme une plantation de pins, très serrée ; c'est une canopée qui laisse passer la lumière, donnant la possibilité à d'autres espèces de s'épanouir. C’est ce qu’on a décidé de faire avec mon mari qui gère une petite exploitation agricole dans le Sud-Ouest. On a planté une haie avec des paulownias tous les dix mètres, d’autres arbres et des arbustes entre eux, après avoir fait un test en plantant un seul paulownia dans un angle de champ. Le paulownia va être l’espèce dominante dans un premier temps et les autres vont suivre. L’urgence, c’est de planter des arbres à forte croissance pour, très vite, fixer du carbone, apporter de l’ombre, couper le vent et attirer l’eau.
Finalement, d’un point de vue environnemental, le développement de la culture du paulownia peut s’avérer bénéfique si elle se fait dans le respect des règles sur l’eau ?
FS : Cette culture me paraît globalement positive. Il faut encourager l'implantation d'arbres qui, rapidement, développent un grand volume de feuilles et de racines. Les racines, c'est important. Elles permettent à l’eau de s’infiltrer dans le sol et à d’autres moments, de remonter. Par ailleurs, les radicelles [racines secondaires, NDLR] du paulownia meurent tous les ans, comme ses feuilles. Cela donne de la matière organique. Les forêts sont la base de la fertilité des sols français. On vit sur le stock de carbone accumulé par les forêts d’antan. À cause du labour, des arasements de haies, vous finissez par perdre trop de matière organique qui remplit un rôle important de structuration du sol, entre autres. En deçà d’un certain seuil, cela donne un sol qui ne "fonctionne" plus du tout et devient très difficile à travailler. C’est pourquoi beaucoup d'agriculteurs essaient de réintroduire des arbres, pour augmenter la matière organique et donc la fertilité de leurs sols. C’est le principe de l’agroforesterie.
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